Ce 3 avril 2024 ramène la 24e commémoration de l’assassinat honteux du journaliste très adulé Jean Dominique. Le propriétaire de la Radio Haïti-Inter avait reçu 4 balles en fin de journée du lundi 3 avril 2000 dans l’enceinte même de l’institution. En plus, Jean Claude Louissaint, le gardien de l’immeuble, a été aussi abattu.
Dans une entrevue avec Ayibopost, sa femme Michèle Montas qui travaillait aussi à la Radio est revenue sur les événements de ce lundi tragique.
“ J’étais en route pour me rendre à la radio ce jour-là, le journal créole de six heures est subitement interrompu. Pierre Emmanuel, le journaliste qui le présentait, s’était tu, et la musique a remplacé les informations ”, raconte-t-elle, soulignant qu’elle était étonnée et sentait que quelque chose n’allait pas. “J’ai appelé la radio pour comprendre ce qui se passait, et ils m’ont dit que je ferais mieux de venir ”, se souvient la veuve.
Arrivée sur les lieux, la journaliste constatait le corps de son compagnon allongé par terre ayant les trous de quatre projectiles.
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La justice haïtienne
L’affaire Jean Dominique a passé entre les mains de plusieurs juges. Sous l’administration Martelly, le dernier juge à avoir mené l’enquête est Yvickel Dabrezil.
L’ordonnance du juge Dabrezil a inculpé l’ancienne sénatrice du département de l’Ouest de Fanmi Lavalas Mirlande Liberus comme le commanditaire du crime. Ce, dans l’objectif d’enlever la parole au journaliste qui était très amer envers le parti Fanmi Lavalas.
Philippe Markington est le nom d’un co-accusé qui a été extradé en Haïti et incarcéré au Pénitencier National en 2014, après avoir passé dix (10) ans en Argentine.
Lors des auditions, les anciens présidents René Garcia Préval et Jean Bertrand Aristide ont répondu aux questions du magistrat en tant que témoins.
L’affaire Jean Dominique se trouve depuis l’ordonnance du juge entre la Cour de cassation et la Cour d’appel, en attente d’un procès.
Jean Dominique
Jean Dominique, Jeando pour les intimes, est né le 30 juillet 1930 à Port-au-Prince. Il a été l’une des premières personnes en Haïti à diffuser des émissions de radio en créole haïtien.
Né dans une famille petite-bourgeoise, il se voyait plutôt comme un nationaliste. Ayant dû fuir le pays à plusieurs reprises suite à des menaces de mort pour ses positions, il faisait le va-et-vient dans le pays pour continuer sa lutte contre la dictature et les autres régimes en place, jusqu’à son assassinat le 3 avril 2000.
Jeando a connu la prison, son frère Philippe Dominique qui avait tenté de renverser la dictature lors de son début, a été appréhendé puis exécuté.
Septième d’une famille de huit (8) enfants, Jean Dominique étudiait l’agronomie à Damien, avant de partir pour compléter sa formation à l’Institut national agronomique (INA), à Paris, France, dans les années 1950. C’est là-bas qu’il a découvert le cinéma et tout son potentiel politique.
En France, il a fréquenté une étudiante afro-guadeloupéenne, Maryse Boucolon (plus connue sous son futur nom d’écrivaine, Maryse Condé). Pour retourner en Haïti, il a dû l’abandonner à Paris alors qu’elle était enceinte. De cette union, naît son unique fils, Denis Boucolon.
De retour dans le pays, l’ancien élève de Saint Louis de Gonzague a fondé le premier ciné-club haïtien pour inciter les intellectuels à créer un cinéma national. Se lançant dans la radio, il a par la suite racheté la Radio Haiti-Inter. Réussi à échapper à la censure de la dictature au pouvoir, il a offert au peuple haïtien l’accès à l’information en créole. Il s’est lancé dans le combat avec le soutien de sa femme Michèle Montas pour aider le pays à se révolter contre la dictature des Duvalier. À l’époque, il était forcé, pour sauver sa vie, de s’exiler à plusieurs reprises, au Nicaragua et aux États-Unis.
Après un retour triomphal en Haïti en 1986, Jean Dominique a soutenu avec passion, dans un premier temps, Jean-Bertrand Aristide. Aristide a été élu président en 1990, mais un coup d’État mené par Raoul Cédras le renversait, ce qui a contraint Jean Dominique et sa femme à prendre l’exil.
De retour en 1994 en Haïti, après le départ de Raoul Cédras, Jean Dominique a repris la Radio Haïti-Inter, mais il ne soutenait plus la politique du parti Lavalas de Jean-Bertrand Aristide accusé de commettre des dérives graves.
Son combat ne concernait pas seulement certains hommes politiques, il lançait des propos critiques contre des hommes d’affaires corrompus, soupçonnés d’être liés au trafic de drogue, et contre la politique des États-Unis.
Ses critiques ainsi que celles de sa femme Michèle Montas étaient suffisantes pour les mettre en danger de mort. En effet, selon les informations, un contrat de 60 000 dollars américains pesait sur leurs têtes. Ce qui a mené à son assassinat dans les locaux de la radio le 3 avril 2000.
Michèle Montas a repris le combat de son compagnon, mais elle a dû définitivement s’exiler en 2003 après une nouvelle tentative d’assassinat.
Notons que le réalisateur américain Jonathan Demme a réalisé un documentaire baptisé « L’Agronome », sorti en 2003, consacré à la vie de Jean Dominique.