Dans un document publié le 15 octobre 2025, l’économiste Wilson Laleau estime que le peuple et les gouvernements haïtiens n’ont jamais tiré de leçons de l’histoire en ce qui concerne la sortie durable des transitions politiques. Depuis plus de deux siècles, selon lui, Haïti reste prisonnière d’un cycle de transitions répétitives, marqué par les mêmes scénarios : instabilité, méfiance et fragmentation.
Ancien ministre de l’Économie et des Finances en 2014–2015, puis en 2016, M. Lalau déplore que la Constitution soit souvent réduite à un simple instrument de conquête du pouvoir, plutôt qu’à un cadre de légitimation partagé. Il affirme que le pays fait fausse route en croyant qu’un nouveau texte constitutionnel, à lui seul, peut apporter le changement. « Aucune Constitution n’a échoué par son contenu, mais bien par l’absence de préparation, d’expérimentation et de légitimité dans son environnement politique », écrit-il.
Face à ce constat, il propose de transformer la transition en un « laboratoire constitutionnel » d’une durée de cinq ans, structuré en trois phases :
- Stabilisation politique, avec un président neutre et un gouvernement de coalition ;
- Expérimentation locale, avec des gouverneurs départementaux, des assemblées de maires et un comité de suivi ;
- Conférence nationale, chargée d’élaborer une nouvelle Constitution fondée sur les leçons de la pratique.
Cette refondation politique doit s’accompagner d’une transformation économique vers un « capitalisme coopératif », ancré dans les communes, la diaspora et les coopératives départementales. L’objectif est de construire un État solidaire et décentralisé, capable de produire des biens publics et de réduire les inégalités.
Pour Wilson Laleau, ce n’est pas une nouvelle Constitution qu’il faut imposer, mais un processus constitutionnel progressif, fondé sur l’apprentissage, la participation et l’évaluation.
Par ailleurs, Laleau estime que le mandat du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) pour renforcer la sécurité en neutralisant les gangs, rédiger une nouvelle Constitution, organiser les élections générales pour remettre le pouvoir à un gouvernement élu le 7 février 2026 est voué à l’échec.
« Il serait mal avisé de faire porter l’entière responsabilité à ceux qui occupent les postes au sein de l’exécutif. Le montage politique et le contexte institutionnel dans lequel ce mandat est exercé ne doivent surtout pas être ignorés. De nombreuses voix avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. Elles n’ont pas été entendues », conclut-il.
Constitution de 1987 : des débats centrés sur la forme, jamais sur le fond
Dans son analyse, Wilson Laleau affirme que les sociétés n’apprennent pas simplement par la remémoration des faits historiques, mais par leur traduction en institutions solides : règles, contre-pouvoirs, routines administratives, systèmes d’alerte et mécanismes d’incitation. Ces structures sont essentielles pour éviter la répétition des crises et freiner l’influence des élites qui bloquent les réformes structurelles en tirant profit d’arrangements de court terme.
L’exemple de la Constitution de 1987 illustre selon lui ce déficit institutionnel : malgré ses mérites, son absence de garde-fous à l’exception des contraintes à sa révision a empêché sa mise en œuvre effective. Aucun groupe politique n’a véritablement défendu son contenu. En près de quarante ans, les discussions se sont concentrées sur sa forme plutôt que sur son application concrète, comme en témoignent les maigres résultats législatifs des différents gouvernements.
Des propositions politiques jugées innovantes pour sortir de l’impasse
Face à l’enlisement politique, plusieurs partis proposent des alternatives pour rompre avec les transitions stériles du passé. Deux visions distinctes mais complémentaires ont récemment été rendues publiques.
La Force Louverturienne Réformiste (FLR), dans une note datée du 12 octobre, considère le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) comme incapable de remplir sa mission. Elle préconise une nouvelle transition issue d’une « convention nationale », encadrée par le Protecteur du Citoyen ou un Comité National de Facilitation.
Cette période transitoire serait dirigée par un juge de la Cour de cassation (ou un triumvirat), avec un Premier ministre pour conduire l’action gouvernementale. L’objectif est clair : reconstruire l’État avant toute élection, en s’appuyant sur un plan de développement soutenu par des investissements internationaux massifs.
