Haïti : décryptage du calvaire d’un peuple à la recherche d’une vie calme

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La première République noire libre du monde ne cesse de s’aventurer dans des péripéties multiformes. À l’origine, un peuple aspirant à une vie calme et stable se retrouve dans une course perpétuelle, une fuite illimitée. Cette situation s’aggrave davantage au 21e siècle avec la prolifération des gangs armés qui sèment la terreur dans le pays, surtout dans la capitale qu’ils contrôlent à plus de 80%.

La population haïtienne est, depuis sa constitution, à la recherche d’une vie meilleure. Les citoyens partent partout. Souvent, ils effectuent des voyages mortels. Haïti n’a pas tardé à devenir un espace à éviter, même pour ses propres fils et filles. En 2024, les Haïtiens se sont réfugiés sur tous les continents.

Une grande course, également interne, qui, à la suite de la dernière escalade de violence, a entraîné près de 100 000 déplacés de Port-au-Prince vers d’autres départements en seulement un mois.

Depuis environ une décennie, les habitants fuient de quartier en quartier pour échapper aux terreurs des gangs criminels armés qui occupent les différentes villes du territoire. De Martissant à Savien en passant par Cité Soleil et Bas de Delmas, les groupes armés contrôlent aujourd’hui la zone métropolitaine de Port-au-Prince. La commune de Croix-des-Bouquets est le bastion de plusieurs gangs, et l’occupation de la Route Nationale n°1, surtout entre Canaan et Cabaret, a tout bouclé. Ce n’est pas différent pour certaines zones de Delmas et de Tabarre. Récemment, Mariani, Gressier, Carrefour, entre autres, se sont ajoutés à la liste.

Il n’y a désormais plus de refuge à Kenscoff et à Pétion-Ville, considérées pendant une certaine époque comme des zones résidentielles et aisées du pays. Chaque jour, la population doit enfiler ses bottes pour se déplacer de quartier en quartier. La rivière de sang coule et atteint tous les coins. Dans cette course s’inscrivent les zones voisines du Palais National : Bel-Air, Solino, Fort National, Nazon, Avenue Poupelard, Christ-Roi, Lalue, pour ne citer que celles-là. De plus, plusieurs autres zones des provinces comme Liancourt, Verrettes, Petite-Rivière, Deschapelles, l’Estère et diverses autres villes dans le département de l’Artibonite, ainsi qu’une partie du Nord-Ouest, du Centre, entre autres, sont également affectées.

Gressier, le nouveau terrain de triomphe des caïds

Après la zone de Mariani, les caïds ont fait de la commune de Gressier leur nouveau terrain de chasse. Dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 mai 2024, ils ont attaqué plusieurs quartiers, incendié des maisons et des véhicules, saccagé le commissariat avant d’y mettre le feu. Dimanche, les forces de l’ordre ont lancé une offensive et repris le bâtiment de la police.

La population civile, quant à elle, n’a pas eu d’autre choix que de s’enfuir. Les informations collectées par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), à la suite de cette attaque armée survenue dans la commune de Gressier, plus précisément dans la 1ère section Morne à Bateau, révèlent que 4 463 personnes ont été déplacées et se sont dirigées vers les départements de l’Ouest (92%), des Nippes (4%) et du Sud (3%).

Parmi ces personnes, 73% ont trouvé refuge auprès de familles d’accueil, tandis que 27% se sont installées dans sept sites de déplacés, comprenant quatre nouveaux sites et trois sites déjà existants dans le pays, indique l’OIM.

Il est à noter que la commune de Gressier est située dans l’arrondissement de Port-au-Prince, département de l’Ouest. Selon les chiffres du dernier recensement de 2019, la commune, d’une superficie de 92,31 km2, a 36 700 habitants.

Elle est composée de la ville de Gressier et de 3 sections communales : Morne à Bateau, Morne Chandelle et Petit Boucan.

La course à l’étranger et ses retombées

Nombreux sont les citoyens qui fuient totalement le pays pour échapper aux violences sanglantes des criminels armés. Souvent, leur exode vers d’autres pays du monde à la recherche d’une vie meilleure se fait de manière illégale.

De ce fait, le taux de retours forcés d’Haïtiens vers le pays est très élevé. Selon l’OIM, en 2023, plus de 216 000 personnes ont été renvoyées en Haïti par différents pays du monde.

Beaucoup de ces migrants sont rentrés après avoir vécu plusieurs mois ou années à l’étranger et sont confrontés aux difficultés de réintégration dans leurs communautés. Les conditions sécuritaires et socio-économiques en Haïti rendent en outre cette réintégration encore plus délicate.

Ainsi, même après avoir été renvoyées de force dans le pays, de nombreuses personnes se lancent à nouveau, parfois à plusieurs reprises, dans des parcours de migration irrégulière, à la recherche d’une vie meilleure hors de leur patrie.

Une vie meilleure

Plus d’un croit que le gain d’une vie meilleure par les Haitiens ne peut arriver que dans leur pays. De ce fait, les conditions, surtout sur le plan sécuritaire, doivent réunir.

Dans un entretien le mois dernier avec la rédaction, l’Anthropo-sociologue John Wilfort ESTIVERNE a affirmé, tout en tenant compte de ses expériences et sa compréhension de la société, qu’il est possible de régler le problème de gangs criminels armés, poussant ces derniers à déposer les armes.

Selon lui, pour que les malfrats trouvent la raison, l’Etat doit :

  • – Renforcer les capacités de la police en matériels;
  • ⁠- Contrôler minutieusement tout ce qui entre dans les ports et les aéroports;
  • ⁠- Punir convenablement ceux qui financent les gangs;
  • ⁠- Renforcer le système judiciaire tout en engageant des professionnels à la hauteur;
  • ⁠- Mettre en place une politique publique basée sur l’intégration de toutes les catégories sociales;
  • – La société a sa part de respecter vis-à-vis de ces individus.

Pour pousser les caïds à avoir une autre conception des choses, à valoriser la vie, la société, représentée par l’Etat, doit mettre sur pied tous ses appareils répressifs, idéologiques et distributifs, nous dit M. ESTIVERNE.

En plus, le masterant en sciences du développement indique qu’en faisant tout cela l’Etat ne doit pas encourager l’impunité. De ce fait, les serviteurs de l’Etat ont l’obligation de se dire que c’est l’Etat qu’ils servent, c’est pas autrement. De cette façon, ils n’auront pas à armer les quartiers populaires à des fins de pouvoir.

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