Les sujets ayant rapport à l’apprentissage sont très peu ou mal abordés en Haïti. Les écoles n’ont mis l’accent que sur la réussite alors que les paramètres cognitifs, moteurs de l’apprentissage, sont mis au second plan dans le système éducatif haïtien. Ce qui entraîne parfois la mésinterprétation ou une interprétation orientée d’un ensemble de problèmes liés au décrochage scolaire, à l’abandon ou à l’échec scolaire… À ce fait, on est rentré dans une perspective de remise en question du savoir que transmet l’enseignant à l’apprenant ou la remise en question de la capacité de l’enseignant dans le savoir qu’il transmet. En un mot, l’enseignement haïtien. En ce sens, le champ des neurosciences cognitives ou le neuroéducation particulièrement nous interpelle.
Selon le psychologue Emmanuel Croimet , dans une étude qu’il a menée auprès de 162 élèves de deux sexes dans la commune de Paillant, département des Nippes, la concentration joue un rôle prépondérant dans le processus d’apprentissage d’un élève. Elle est l’un facteurs ayant influencé positivement la performance scolaire. Cependant, en Haïti, parler de performance scolaire cela paraît beaucoup plus étrange par rapport à certains faits mettant à nu notre système éducatif.
Par exemple, lorsqu’on jette un coup d’œil sur les examens des baccalauréats haïtiens pendant ces dix dernières années, les résultats sont de plus en plus catastrophiques. Et, on peut toujours remettre en question les pourcentages de réussite. La tricherie peut aussi jouer en faveur des admis-es. D’ailleurs, des candidats aux examens déclarent avoir réussi à se faire passer l’examen grâce aux téléphones, aux « ti bib ». Parfois, des questions posées aux examens se font circuler la veille du déroulement des épreuves. Un autre phénomène de plus qui favorise la réussite qu’on confond souvent avec la performance scolaire.
En fait, la performance scolaire fait débat dans les communautés scientifiques, en particulier dans le domaine des neurosciences, ces dernières années. Des chercheurs-es tentent d’apporter des éléments de réponse à certains problèmes dont, ici en Haïti, fait objet le système éducatif haïtien. Malheureusement il y a peu d’écrits abordant cette problématique.
Dans son mémoire de sortie, pour l’obtention du grade licencié en psychologie à la Faculté d’Éthnologie de l’Université d’État d’Haïti, titré « La concentration et la performance scolaire chez un groupe de 162 élèves des deux sexes, du nouveau secondaire, âgés de 15 à 23 ans dans trois écoles secondaires de la commune de Paillant au cours de la première période académique 2021-2022 » et consulté à la loupe, par la rédaction de Passion Info Plus, l’auteur met accent sur la concentration et la performance scolaire des élèves dans un contexte de crise où le système éducatif haïtien s’enfonce de plus en plus dans la pile ou face. L’objectif est de montrer l’influence du niveau de concentration sur le niveau de performance scolaire d’un élève.
Cette recherche, évaluée avec mention d’excellence soit 92/100, fait état d’un ensemble de problème présentant des défis pour les autorités du pays. La faiblesse de l’État de répondre aux obligations du trio savoir-enseignant-apprenant afin de penser à la performance scolaire s’empire. Les cas d’échec scolaire et ou d’abandon augmentent à petit feu. Le très faible pourcentage restant sur les bancs de l’école rentre dans la consommation d’années académiques, une logique constituant un obstacle majeur à la question de la performance scolaire.
Pour pallier ces problèmes, les apprenants doivent d’abord avoir un niveau de concentration élevé, ce qui leurs permettra de devenir plus performant aussi. En un mot « Plus, la concentration d’un apprenant est élevée, plus sa performance scolaire le sera également ».
En guise de résumé, « La problématique de la performance scolaire, intéresse de plus en plus les chercheurs. Car beaucoup de gouvernements investissent dans l’éducation des élèves. Pourtant certains apprenants échouent et abandonnent l’école en raison de la faiblesse de leur performance scolaire. Mais, ils sont nombreux les facteurs pouvant influencer la performance scolaire. Ainsi, cette recherche veut démontrer que la concentration peut influencer positivement la performance scolaire des apprenants. Dans le but d’atteindre cet objectif, 162 participants (98 filles et 64 garçons, âgés de 15 à 23 ans) (M= 18 ans, ET= 1.9045) ont été recrutés dans trois écoles secondaires à Paillant. Ils ont été soumis au test d’attention concentrée d2 de Brickenkamp (1998) mesurant leur niveau de concentration. La performance scolaire a été évaluée par le biais des résultats scolaires obtenus pour la première période de l’année académique 2021-2022. En utilisant le coefficient de corrélation de Pearson et l’analyse de régression linéaire, les résultats obtenus r = 0.3237 (P.value= 0.000 < 0,05) ont permis de démontrer que la concentration est corrélée positivement avec la performance scolaire. Ces résultats confirment notre hypothèse selon laquelle les apprenants ayant un niveau de concentration plus élevé auront également un niveau de performance scolaire plus élevé. Cette recherche revêt d’une grande importance pour le système éducatif haïtien. Sur le plan social, elle peut contribuer à amener les acteurs éducatifs et les enseignants à développer et à utiliser des techniques pouvant stimuler la concentration des apprenants en classe. Sur le plan clinique, elle permettra aux psychologues et autres professionnels intervenant sur les difficultés scolaires de mieux situer l’implication de la concentration dans la performance scolaire. Sur le plan scientifique, elle ouvre la voie à d’autres recherches dans le domaine de la neuroéducation en Haïti et dans d’autres pays, particulièrement sur la concentration ».
Entretien post-soutenance avec l’auteur
Cette étude, axée sur la concentration (comme composante de l’attention) et la performance scolaire, est une première en Haïti. Elle s’implique dans l’explication de l’importance des fonctions cognitives supérieures dans le processus d’enseignement-apprentissage.
Le savoir enseigné ne doit pas s’opposer aux capacités d’apprentissage et d’adaptation de l’apprenant. En ce sens, le jeune professionnel en santé mentale, fait des recommandations.
Selon lui, comme premier plan d’action, le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle « doit d’abord former les enseignants afin qu’ils comprennent comment fonctionnent le cerveau des apprenants dans le processus d’apprentissage et former aussi les apprenants afin qu’ils soient conscients du fonctionnement de leur cerveau lors des tâches d’apprentissage ». Parce que continue-t-il, le cerveau ne s’adapte pas à n’importe quel moment, la capacité d’attention augmente le matin et en fin d’après-midi par exemple, alors qu’elle chute vers la fin de la matinée jusqu’en début d’après-midi selon des études scientifiques. Des études citées dans le travail montrent également que la capacité de concentration augmente ou diminue en fonction des jours de la semaine (on observe un pic de la capacité de concentration en jeudi par exemple). Donc, pour le psychologue, les cours demandant plus de concentration (tels les maths et la résolution de problème) doivent se faire en fonction du moment de la journée et des jours de la semaine favorisant au mieux la concentration. De ce fait, la formation des enseignants sur ces sujets s’avère une nécessité afin d’optimiser la performance scolaire des apprenants et du coup, du système éducatif haïtien.
De plus, les problèmes liés à environnement scolaire, aux infrastructures non adaptées, à la ratio élève/classe, aux conditions socio-économiques des élèves ainsi que des enseignants sont autant de facteurs qui peuvent nuire à l’apprentissage. Malheureusement, ils sont au cœur de notre enseignement surtout dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Et ceci « Ils impactent négativement les résultats ».
C’est la raison pour laquelle, conscient de l’influence qu’ils peuvent avoir sur la performance scolaire, Croimet, s’est vu, de préférence, mener son étude à Paillant ayant un environnement stable sur le plan sécuritaire et favorisant aussi un apprentissage de qualité afin de mieux réaliser son étude et diminuer les risques des biais liés à l’environnement.
Performance scolaire et développement
Le développement du pays doit passer nécessairement par l’éducation. Or, on ne peut pas parler d’éducation de qualité sans la régulation de la performance scolaire. En ce sens, le psychologue soutient, sur la base de diverses études, que la performance scolaire conduit grandement au développement d’une société en lui dotant de professionnels qualifiés qui puissent contribuer au développement social, économique et politique du pays.
« Ne pas investir dans l’éducation des enfants du pays, c’est ne pas choisir la voie menant au développement socio-économique du pays » a-t-il scandé un prônant un système éducatif faisant ce qu’il qualifie de « culte de la performance » afin d’accomplir les vraies missions de l’école dans un pays qui sont de former des citoyens capables d’assurer le progrès du pays à tous les niveaux.
Valorisation de la performance
Le système éducatif haïtien ne valorise pas la performance et ne crée pas non plus, les conditions de base pour que les apprenants aient un niveau élevé. Ce qui fait que la majorité d’institutions scolaires n’héritent pas de cette culture de valorisation de la performance. Cependant, « Cette tendance empêche aux élèves de faire des efforts « , or un niveau de performance élevé sans valorisation peut être vécu par l’apprenant comme non nécessaire et entraîner du même une diminution de la motivation ; l’un des conditions nécessaires à la concentration et à l’apprentissage.
Donc, dans un système éducatif performant où les enseignants sont compétents et ont une capacité méthodologique efficace pouvant maintenir les apprenants attentifs, on pourrait même tenter d’espérer, dans un avenir proche, un système éducatif haïtien plus performant avec des apprenants plus performants.
Enfin, le jeune chercheur se dit prêt à continuer ses recherches sur l’attention en Haïti à un moment où la recherche neuroscientifique de ces vingt dernières années offre une place de choix aux études sur les processus attentionnels dans le monde. Il croit qu’il n’est pas trop tard pour le pays de se lancer dans l’application des nouvelles avancées des neurosciences cognitives dans l’explication des processus d’apprentissage après tant d’années de méconnaissance du fonctionnement du cerveau ayant conduit à la vulgarisation d’un ensemble de « neuromythes » autour des mécanismes d’apprentissage.
À travers l’institution de services au nom d’Allô Psy Haïti qu’il préside et sa récente collaboration avec l’Agence Universitaire de la Francophonie, Croimet s’engage à œuvrer dans la formation continue pour le renforcement des compétences des enseignants et des apprenants sur les mécanismes à mettre en œuvre pour optimiser la performance scolaire de ces derniers.
Ci-joint, vous pouvez visionner la vidéo de la soutenance postée sur la page YouTube d’Allô Psy Haïti.